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C’est toujours dans les périodes de crise que le Pain se rappelle à nous, de manière forte, soudaine et collective. Ce n’est pas qu’une affaire de faim, de peur de manquer, c’est bien plus profond que cela et bien plus puissant. Nous pouvons même avancer que cela relève bien plus du psychisme que simplement de la physiologie de base et que si « l'homme doit d'abord se nourrir, se désaltérer, se loger, se vêtir et ensuite seulement, il peut participer à des activités politiques, scientifiques, artistiques ou religieuses. » (Zhang Xianliang) l’on peut voir que le Pain nous convoque bien au delà de ces prosaïques et factuelles dimensions.
Rien n’a un pouvoir aussi puissant que le Pain pour nous relier à des formes profondes de notre héritage culturel. Socle de notre alimentation depuis des millénaires il recèle bien des facettes qui nous le font considérer avec attachement profond et y trouver des pouvoirs certains. Nous n’ignorons pas, même de façon intuitive ou innée, qu’il est la source des mots copain et compagnon. Poser une belle miche de Pain, bien cuit, bien croustillant, bien odorant au milieu de la table et instantanément les liens qui nous unissent retrouvent une énergie primordiale qui nous irradie et active alors notre propension à nous relier, à nous lier, à nous estimer avec bienveillance, à augmenter notre altruisme.
Oui c’est dans les périodes comme celle que nous vivons tous en ce moment que le Pain se rappelle à nous. D’une façon insistante, dynamisante, rassérénante. Il n’y a donc rien d’étonnant mais bien plutôt quelque chose de très émouvant, que de voir aujourd’hui nos contemporains remettre les mains dans la farine.
Faire du Pain ! Le cuire et le partager avec ceux que l’on aime et avec qui l’on vit ce confinement...
Une parcelle de bonheur qui se déguste sans fioriture, sans joie feinte ou superficielle. Nous touchons du coeur alors une forme de vérité absolue nichée en nous, toujours prompte à montrer à nouveau le petit bout de son nez. L’odeur du Pain, tout juste cuit, dans la maison... petite extase parmi les plus inspirantes que l’on puisse vivre. En poser un tout chaud devant la porte de ses voisins puis donner un coup de sonnette... Une forme d’Essentiel sacré, au sens de ce qui mérite le respect absolu, avec lequel nous sommes finalement toujours apte à rétablir lien malgré nos vies trépidantes . En cela nous pouvons avancer que malgré les douleurs, les chagrins, les inquiétudes, cette pandémie nous donne une forme d’éclairage. Car c’est toujours dans la boue noire de notre coeur inquiété que nous devons aller chercher la petite étoile éclairante pour nous guider. Retrouver le Pain Vivant en ce temps présent permet sans aucun doute de raviver en nous cette capacité de comprendre que nous devons demain agir différemment, faire grandement évoluer notre diagramme de valeurs pour nous dévouer résolument et plus déterminés que jamais pour le vivant dans toutes ses dimensions, pour redonner sens et réalité à nos amours vivantes.
Alors écoutons le Pain et n’oublions jamais que quand le Pain nous rappelle à lui, si l’on écoute bien ce qu’il nous murmure à l’âme, on entend distinctement toutes ses mises en garde, toutes ses prières instantes : pourquoi rompez vous avec une telle désinvolture l’équilibre entre le fait d’être homme et de le demeurer ?
Fleurissent un peu partout sur les réseaux sociaux des exemples de personnes qui mettent les mains dans la pâte, se font artisans de la fermentation, maîtres de la cuisson.
Forme de bonheur que nous disposions d’internet pour qu’une telle magie, un tel égrégore, grâce à un beau mycélium débordant d’énergies vitales, voient se produire des échanges, des cours, du partage d’expérience autour du Pain.
Après l’invention de la bienveillance avec les tous premiers gestes pour prendre grand soin, au creux des bras, de ce nouveau né ne sachant pas porter sa tête, après l’invention de la cuisine, véritable naissance du « nous » pouvant prévaloir sur le « je », dans cette période trouble les femmes ne sont-elles pas une fois de plus en train de faire prendre un tournant ascendant à l’humanité toute entière ?
Pourquoi ne pas rêver ? Pourquoi ne pas y croire ?
Croire que la Vie des Homo sapiens puisse perdurer et qu’en plus elle soit baignée de sens.
Roland - Cucugnan
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