Extractivisme, complotisme, illimitisme : ce que le nazisme dit de nous par Johann Chapoutot

séminaire du 10 septembre 2022 Avec Johann Chapoutot, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne
Nouvelles croyances et complotisme résonnent avec les grands traumatismes sociaux et la perte des grands récits. Le tout sur fond de déclinisme alimenté par une vision déploratoire et doloriste de l’Histoire : c’était mieux avant. Dans un contexte de productivisme acharné orchestré par un management en partie hérité de l’époque du Troisième Reich, le complotisme illustre une désorientation et une absence de sens. En l’occurrence, récession économique et pandémies convoquent une pensée magique à l’heure d’une indifférence totale à la vérité et de l’émergence d’un régime pulsionnel pré-totalitaire. Cette désorientation contemporaine est renforcée par la perte du sens des limites inhérente à l’époque Anthropocène et à l’illusion de l’infini induite par les puissances thermo-industrielles extractivistes héritées d’un rationalisme de la destruction mis au point pendant la Deuxième Guerre mondiale. Incarné par un Jeff Bezos et un Elon Musk (« only the sky is the limit »), l’illimitisme vise à conjurer les limites de la Terre et les menaces d’effondrement climatique par la croyance en la toute puissance de l’innovation, incarnée par le transhumanisme. Ce séminaire mettra en relation les nouveaux régimes émotionnels (complotisme) avec les nouveaux récits actuels (illimitisme) et esquissera une théorie politique du productivisme en tant que situation pré-totalitaire dans un contexte de contraction des ressources et de déséquilibre climatique.
Né en 1978, Johann Chapoutot est professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne. Ancien élève de l’ENS (1998), agrégé d’histoire (2001), et diplômé de Sciences Po (IEP de Paris, 2002), docteur de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et de la TU (Berlin, 2006), Johann Chapoutot est historien de l’Allemagne et de la modernité occidentale. Il a consacré sa thèse de doctorat et son habilitation (HDR) à étudier l’univers mental et la culture du nazisme. Après des travaux sur la vision nazie de l’histoire (Le nazisme et l’antiquité, 2008, rééd. 2012), il s’est intéressé à l’ambition normative nazie, au projet de créer une nouvelle morale et un nouveau droit sous le IIIème Reich (La loi du sang, 2014, rééd. 2020, La révolution culturelle nazie, 2017, rééd. 2022, ainsi que Le meurtre de Weimar, 2010, rééd. 2015). Il s’est également consacré à la rédaction d’essais de synthèse et d’interprétation (Fascisme, nazisme et autoritarisme en Europe, 1918-1945, 2008, rééd. 2013, ainsi que Le nazisme, une idéologie en actes, 2012 et Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui, Gallimard Essais, 2020). Dans Le Grand récit. Introduction à l’histoire de notre temps (PUF, 2021), Johann Chapoutot observe qu’entre les Lumières (XVIIIe siècle) et la Grande Guerre (début du XXe), le théologique a cédé la place au politique : dans l’Occident du « désenchantement » (Max Weber) et du retrait de Dieu, on chercha le sens dans ces « religions séculières » (Raymond Aron) que furent le communisme, le fascisme et le nazisme, mais aussi le libéralisme et ses avatars (ultra-, néo-, …) ainsi que, toujours plus couru semble-t-il, le complotisme, depuis que les « grands récits » (Jean-François Lyotard) sont entrés en déshérence.

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