LE REGARD QUI TUE

Ойын-сауық

Le plus souvent on en oublie que les êtres humains sont les seuls à pouvoir se regarder durablement et fixement « les yeux dans les yeux » (D. Marcelli, 2006). Ce regard focal est en effet soigneusement évité entre congénères dans la quasi-totalité des espèces animales, même chez les primates supérieurs, ce qui ne signifie pas à l’évidence que ces primates ne soient pas attentifs aux postures les uns des autres. Mais c’est une chose de se voir, une autre de se regarder : ce n’est que dans la seconde qu’il y a un échange de regards et une communication intentionnelle. J’ai avancé l’idée qu’en se regardant durablement les yeux dans les yeux dès leur naissance, les humains sont entrés dans une ère radicalement nouvelle de communication où le partage d’intentions l’emporte sur le décodage indiciel. Désormais, en regardant un congénère, l’être humain quête une intention et imagine une réponse : longtemps avant d’accéder au langage, le petit d’homme est plongé dans cette communication intentionnelle radicalement différente d’un simple échange de code. Un code se décrypte, une intention s’interprète. Dans toute communication humaine, il y a un reste qui en constitue l’énigme.
Cette capacité à échanger des regards ouvre à la « transsubjectivité », terme que je préfère à celui d’« intersubjectivité » car il a le mérite de bien mettre en valeur cette traversée, ce transport entre deux personnes. Dans le cas de la mère et de son nouveau-né puis de son bébé, ce transport se double d’un transfert du fait de l’asymétrie de la relation entre un adulte qui sait et un bébé encore ignorant. Cette relation de séduction généralisée transférant des signifiants toujours énigmatiques (J. Laplanche, 1987) n’est possible que par ces échanges durables et répétés de regards.
Les jeux de surprise entre mère et bébé en sont un exemple : ils commencent toujours par un temps d’engagement relationnel à base d’échanges de regards ! C’est aussi par un échange de regards que le transfert d’identité s’opère (D. Marcelli, 2000).
En effet, si Winnicott considère - à juste titre - que le visage de la mère représente le premier miroir du visage de l’enfant et si, en suivant Lacan, on peut admettre que l’image de soi dans le miroir représente la première étape de constitution de l’image de soi, on oublie souvent une étape passagère et transitoire entre les deux stades précédents, le moment de la présentation au miroir lorsqu’un des parents portant son petit enfant dans les bras le place devant un miroir.
Le bébé âgé de quelques mois commence par regarder son parent et c’est ce dernier qui, pointant du doigt sur le reflet de l’enfant dans le miroir, nomme ce reflet du prénom de l’enfant, exhortant ce dernier à détourner son regard de la figure connue du parent vers la figure encore inconnue de soi. Double altérité de l’identité qui provient du pointage et de la nomination d’un autre sur une image de soi qui n’est pas soi…

Пікірлер: 2

  • @tnttv1617
    @tnttv16174 ай бұрын

    C'est très profond ❤❤❤

  • @twahebwandamununu2069
    @twahebwandamununu20692 ай бұрын

    ❤❤❤

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